Trois questions à Pierre-Hugues Barré sur la laïcité
- Affectio Societatis

- 18 sept.
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Pierre-Hugues Barré est l’auteur d’une thèse de doctorat sur le sujet (à paraître sous le titre La séparation impossible, Cerf 2025).
- On entend parfois que, depuis la loi de 1905, l’État ne peut pas financer les cultes ; est-ce vrai ?
Si le texte de la loi est clair, la jurisprudence a connu une forte évolution.
Le Conseil d’État est passé d’une interdiction absolue (voir par exemple l’arrêt du Conseil d’État Commune de Saint-Louis du 9 octobre 1992 par lequel il estime qu’il résulte de l’article 2 de la loi de 1905 que « des collectivités publiques ne peuvent légalement accorder des subventions à des associations qui ont des activités cultuelles ») à une possibilité, pour la personne publique, de financer une activité qui a une dimension cultuelle.
Par cinq décisions d’Assemblée du 19 juillet 2011, le Conseil d’État a apporté un tempérament considérable au principe de non-subvention des cultes.
Désormais, les collectivités territoriales peuvent apporter une aide aux cultes en finançant un orgue dans une église, en accordant une subvention pour contribuer à la réalisation d’un ascenseur destiné à faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite dans une basilique ou en installant un abattoir hallal pour la fête musulmane de l’Aïd-el-Kébir.
Pour qu’une personne publique puisse financer un équipement ou un aménagement, ce dernier doit présenter un intérêt public local (ce qui inclut la question de la compétence de la collectivité), il ne doit pas en lui-même destiné à l’exercice du culte et un fléchage des sommes doit être assuré afin que la subvention se borne à remplir son objectif, sans financer en réalité un culte. Ces trois critères sont une pure création jurisprudentielle et n’apparaissent ni dans la loi de 1905 ni dans ses modifications ultérieures.
Rappelons que sous l’état antérieur du droit, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait annulé la délibération du conseil municipal de la ville de Reims du 26 mars 1996 par laquelle fut décidée la prise en charge financière des installations techniques nécessaires à la célébration de la messe de Jean-Paul II. Aujourd’hui, en raison par exemple des retombées touristiques et financières de l’événement, une telle dépense serait permise.
- L’Église catholique a-t-elle évolué sur sa position concernant la laïcité ?
Oui, d’une certaine manière. Dans ses relations avec les États et la société civile, le Concile Vatican II choisit de placer l’Église catholique sur le terrain de la promotion de la liberté religieuse (voir la Déclaration Dignitatis Humanae) plutôt que sur celui du respect de ses droits en tant que Societas perfecta (société parfaite). Cette position s’inscrit dans la lignée de la déclaration de l’épiscopat français de 1945. Cette déclaration distinguait quatre sens à la laïcité de l’État, deux seulement étant condamnables.
D’après l’épiscopat français, si par laïcité on entend l’autonomie de l’État dans le domaine temporel ou le fait que chaque citoyen puisse pratiquer librement sa religion, le principe est conforme à la doctrine catholique. En revanche, la laïcité entendue comme un athéisme ou comme la volonté de l’État de ne reconnaître aucune morale supérieure est repoussée comme une thèse fausse.
- Que peut-on retenir de l’opposition du pape Pie X ?
On pourrait sans doute en retenir beaucoup de choses ! Je me bornerais ici à indiquer que cette résistance pacifique a augmenté les libertés publiques. La loi de 1905 prescrivait la formation d’association cultuelle pour la célébration du culte, ce que le pape refusa. Pour permettre au culte d’être tout de même célébré, le Gouvernement opta pour le régime des réunions publiques. Ce régime juridique supposait alors une déclaration préalable, que Briand avait ramené à une déclaration annuelle. Cependant, le pape s’opposa également à la déclaration préalable – en réalité il s’opposait à l’assimilation entre la célébration de la messe et une réunion publique. Ce second refus amena le législateur sur le chemin du libéralisme puisque, par loi du 28 mars 1907, toujours en vigueur, il permit que les réunions publiques se tiennent sans déclaration préalable.



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